Retour sur la 51ème édition du FEMA - La Rochelle

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Par Super Seven

le 05/10/2023

Pour le cinéphile, le festival de cinéma est une étape incontournable, sorte de pèlerinage qui épuise autant qu’il ressource, qui nourrit (l’esprit et les yeux) autant qu’il affame (l’estomac), bref un programme appréciable (pas toujours) et frustrant (souvent). Si le Festival de Cannes est le plus grand et important du monde, il n’est toutefois pas le meilleur à fréquenter – André Bazin parlait déjà de ses rituels et de tout ce qu’il impose en 1952 ; il séduit évidemment de prime abord, mais entretient une relation toxique avec celui qui s’y rend, comme une drogue vers laquelle on ne peut s’empêcher de revenir tout en sachant qu’elle nous laisse dans un état pitoyable une fois l’effet terminé. C’est pourquoi il est nécessaire, pour reprendre du poil de la bête, et un peu de foi dans le cinéma comme véritable art et non pas comme foire aux paillettes, de fréquenter d’autres lieux. Il y a bien Il Cinema Ritrovato à Bologne, qui a tout du paradis perdu, mais pour ceux qui ne peuvent aller si loin, la meilleure adresse estivale est sans nul doute le FEMA (Festival La Rochelle Cinéma). Sa 51e édition n’a pas fait tache après le jubilé de l’an passé marqué par la mise en avant de Pasolini, Delon et autres superstars, au contraire.

De fait, le FEMA est surtout un lieu de rencontres et de retrouvailles qui génèrent, à l’instar de l’ogre cannois, leurs petits rituels. Marcher sur le vieux port entre deux films – et donc après une entrevue directe ou indirecte avec du cinéma –, c’est croiser la route d’amis critiques, distributeurs de films d’hier et d’aujourd’hui, exploitants ; déguster une glace avec eux chez Ernest – même si les plus connaisseurs vont désormais à l’antenne de Tonton Maboule fraîchement ouverte –, avant de finir la soirée au Préau à échanger sur les trésors découverts, les pépites à ne pas rater. Cette année, ce furent notamment Perrault 70, sorte de Mary Poppins sous acide de la télé française, les films d’Adilkhan Yerzanov et leur variété de tons – de l’humour étrange de Takeshi Kitano au style excessif et parfois vain, de Nicolas Winding Refn –, Vie privée de Louis Malle pour certains, Kasaba de Nuri Bilge Ceylan pour d’autres, toujours dans un esprit de partage, sans l’ombre d’un cynisme ou d’une course à la connaissance.

Certains titres n’ont jamais aussi bien porté leurs noms qu’ici. Un nuage entre les dents, Donne-moi tes yeux ou Faisons un rêve, Nymphomaniac (pour ceux qui enchaînent sans pause) ou Melancholia, et l’on en passe. Ce qui gouvernait cette édition, comme les précédentes, était l’appétit insatiable suscité par l’ensemble des rétrospectives et hommages, ainsi que les grands écarts qui allaient de soi. Passer du coq à l’âne devient ici faire se succéder la tendre maladresse de Pierre Richard et le sadisme provocateur de Lars von Trier, s’émerveiller de la bavardise de Sacha Guitry puis succomber à la muette beauté d’Asta Nielsen. Chaque journée devient une chute libre où le but est de se rattacher à la liane la plus proche, quelle qu’elle soit, et la dévaler les yeux grands ouverts, prêt à succomber à tous les charmes offerts et à alimenter toutes les réflexions possibles.

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Asta Nielsen - L'Abîme

Car ce bon vieux « cinéma de patrimoine », comme on aime à l’appeler, trouve ici un temps pour être reconsidéré, de A à Z – en passant par L,V et T, notamment. Les dix jours passent vite mais ils permettent de repenser une multitude d’histoires du cinéma, de celles qui font se demander comment l’improbablement délicieux Une femme cherche son destin, avec Bette Davis, n’est pas plus connu que nombreux de ses autres films (L’insoumise de William Wyler par exemple, tristement plus anecdotique malgré ses qualités) ; mais aussi de celles qui invitent à découvrir la richesse des langages : du corps chez Richard, du verbe chez Guitry – mais aussi chez Jean-Louis Comolli, admirablement filmé par Dominique Cabrera –, de la musique dans les relectures du cinéma muet. Si je devais donner une seule raison à quiconque de venir dans la salle bleue de La Coursive, ce serait pour écouter les compositions sublimes de Jacques Cambra ; baladant les oreilles comme personne, chaque touche de son piano vient susurrer à notre oreille les mots que l’on n’entend pas, les sons qui nous échappent d’ordinaire cruellement, sans jamais perdre de vue la modestie face à l’œuvre projetée, seule reine d’un bal endiablé. Ainsi, L’Abîme d’Urban Gad a donné lieu à l’une des séquences les plus érotiques du festival, quand Asta Nielsen danse sensuellement aux côtés d’un cowboy qu’elle a préalablement ligoté. Là encore, une ligne parallèle de l’histoire du cinéma, où la femme, le temps d’une séquence, braque la pellicule, s’en empare et l’embrase d’un seul coup.

C’était aussi ce qui ressortait de la plus belle découverte de la semaine, Anatomie d’un rapport du couple Antonietta PizzornoLuc Moullet, agréablement précédé de l’exploration jubilatoire des ronds-points locaux de Saintonge Giratoire, de Quentin Papapietro. De ce film qui existe « à cause du féminisme » comme le disait ironiquement Moullet en présentation, le couple tire une dissection des rapports homme-femme parmi les plus passionnantes et troublantes qui soient, n’hésitant pas à employer des mots forts – comme quand Marie-Christine Questerbert évoque leurs rapports sexuels en utilisant le mot « viol » pour révéler le caractère forcé de la pénétration – pour développer un propos intemporel et nécessaire. Ce regard porté sur la place de la femme dans la vie à deux et dans sa possibilité de vivre seule faisait un drôle d’écho aux portraits de couples de Sacha Guitry – mais aussi aux films de Lars von Trier, sur lesquels nous sommes déjà revenus –, loin d’être aussi moderne, mais loin d’être trop conservateur également. Derrière les différences d’âge de ses idylles se cache presque systématiquement une étude de l’impuissance et du pathétique de l’homme face à l’espièglerie de la femme, jamais idiote, plutôt l’inverse. Prenez Jacqueline Delubac face à Raimu dans le parfaitement nommé Faisons un rêve, qui ne manque pas de le tourner en ridicule quand celui-ci doit s’excuser en parlant d’un rendez-vous d’affaire qui n’est autre qu’une tromperie savamment prévue ; au « Si tu ne veux pas que j’y aille seul, eh bien je resterai tranquillement ce soir à la maison, j’en mourrais pas tu sais », elle répond avec un sourire en coin « Je l’espère ». Les femmes de Guitry – à la ville comme à l’écran la plupart du temps – sont le témoignage de la possibilité d’une double existence, à la fois comme objet de désir et objet de respect absolu, impossible à posséder réellement et moteur des mécaniques narratives du super-auteur.

Enfin, cette histoire du cinéma au féminin a trouvé ses plus belles formes dans l’hommage aux cinéastes tunisiennes – portées par Kaouther Ben Hania, dont le décevant Les filles d’Olfa était là compensé, entre autres, par le tendre Zaineb n’aime pas la neige –, mais aussi ceux adressés à Nicole Kidman lors d’une journée spéciale et Emmanuelle Bercot dans le cadre de la deuxième leçon de cinéma de Yann Dedet. C’est dans cet éclectisme particulier, refuge de tous les cinémas sous la forme d’un chaos habilement orchestré, que le FEMA rappelle l’intérêt du Festival de cinéma comme engagement (pour ses organisateurs et spectateurs) : prendre la température du monde, saisir ses indicibles secrets, à travers la pluralité des regards qui sont projetés sur la toile.


Elie Bartin


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Marie-Christine Questerbert et Luc Moullet - Anatomie d'un rapport