Entretien avec Mathilde Moyard et Pauline Casalis pour le Festival "Les Monteurs s'affichent"

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Par Super Seven

le 15/03/2024


A l’occasion de la 6ème édition du festival Les Monteurs s’affichent, qui a lieu cette année du 13 au 18 mars 2024, nous sommes allées à la rencontre de Mathilde Muyard, membre du collectif Les Monteurs Associés, ainsi que Pauline Casalis, également membre du collectif, faisant parti du comité de sélection de la nouvelle édition du festival.


S7 : Mathilde, Pauline, vous êtes membres du collectif Les Monteurs Associés. Comment est venue l’idée de créer ce collectif ?

Mathilde Muyard : Le collectif est une association, qui a été créée par un groupe de monteurs et de monteuses, en 2001. En fait, avec le passage au numérique, les équipes de montage se sont beaucoup rétrécies. Avant, il fallait que l’on soit trois minimum – un chef monteur / une cheffe monteuse, un ou une assistant(e), et un ou une stagiaire – pour monter un film. Avec le numérique, ça a beaucoup diminué. Les lieux de montage se sont aussi éparpillés. Ce qui fait que tout le lien que l’on avait avec le collègue dans des lieux de montage où l’on était tous regroupés et les échanges que l’on pouvait avoir entre monteurs se sont raréfiés. Et en plus, c’est à une époque où le métier est devenu plus difficile, dans le sens où il y a eu toute cette phase de transformation de notre métier avec les nouveaux outils de montage. On ressentait donc un certain isolement, une certaine difficulté. Et il y a donc eu un groupe de monteurs et monteuses qui ont eu l’idée de créer cette association pour que l’on puisse se retrouver, échanger, parler de nos difficultés, des conditions de travail, échanger aussi sur nos pratiques aussi bien sociales qu’artistiques. Pour être plus forts, être plus nombreux. Ça a vraiment bien pris ! Maintenant, nous sommes entre 200 et 300 monteurs et monteuses au sein de l’association. Ça dépend des années mais cette année, nous sommes près de 300. Un de nos objectifs est de faire parler du montage, de faire découvrir plus largement ce qu’est le montage, puisque c’est un des métiers du cinéma les plus cachés de tous.

S7 : Et contrairement, à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas un métier solitaire. Au contraire, c’est un métier de collaboration.

M.M. : C’est un métier d’intense collaboration ! Une collaboration avec les cinéastes. Je ne connais personne qui monte seul. Enfin, c’est rarissime. C’est malheureusement de plus en plus difficile dans notre métier d’avoir des assistant(e)s monteurs / monteuses pour des raisons, sans rentrer dans le détail, économiques mais aussi vis-à-vis d’une culture du métier qui s’est perdue. Avant, on collaborait avec les assistantes et assistants. Maintenant, c’est plus compliqué… Mais quand on se bat bien, on arrive encore à avoir des assistantes et assistants.

Pauline Casalis : C’est important aussi pour la transmission du métier. Même s’il y a les écoles, les BTS, il y a toutes sortes de formations. C’est une connaissance théorique. Mais c’est quand même aussi un métier de cinéma, qui s’apprend sur le terrain. Même si celui-ci s’apparente peut-être plus à celui de scénariste. Il y a quand même une transmission qui se fait de chef à assistant, qui permet ensuite à l’assistant lui-même de monter à son tour. Ce qu’il apprend dans la salle de montage, il ne l’apprend pas dans les écoles. Il apprendra la technique dans les écoles, il apprendra ses propres expériences de montage. Mais il n’aura pas les expériences professionnelles qu’on ne peut apprendre que dans les conditions d’un film qui sont quand même particulières. En tout cas, propres à chaque film. C’est donc aussi important pour l’avenir du métier, qu’il y ait des assistants aussi.

S7 : Vous parliez d’école, de BTS, etc. Avez-vous toujours eu envie d’étudier et de vous lancer dans le cinéma ? Saviez-vous déjà que vous vouliez vous lancer dans le métier de monteuse ?

P.C : Personnellement, ça a été par hasard ! Je suis à un âge où il n’y avait pas d’ordinateurs partout, avec des logiciels de montage… Donc, je n’avais aucune idée que ça pouvait exister. J’étais attirée par les métiers du cinéma. J’ai fait une école de cinéma en pensant que j’allais être scripte, puisque l’idée me plaisait bien d’être sur les plateaux et d’être en dialogue avec le metteur en scène. C’était lors d’un exercice à l’école, où l’on nous distribuait les rôles à faire, au hasard ‘Tiens Pauline, tu feras le montage’. Et là, j’ai trouvé ! J’ai eu la chance de trouver cette vocation. Par hasard.

S7 : Était-ce aussi par hasard pour vous, Mathilde ?

M.M. : Pas vraiment par hasard. J’ai aussi fait une école, qui est l’école Louis Lumière, où je me destinais plutôt à être cheffe-op, enfin à l’image. Je voulais faire du cinéma, mais quand on est jeune, on ne sait pas très bien ce que ça veut dire. Il fallait bien rentrer par un bout, alors je suis rentrée par là. Cela étant, j’ai travaillé en tant qu’assistante à la réalisation, à la régie… J’ai essayé différents postes. J’avais réalisé un court-métrage que j’ai monté moi-même, ça m’avait déjà intéressé. Au bout de quelques années où j’étais assistante à la mise en scène, j’ai réalisé que je n’étais pas si proche que cela de la mise en scène en tant qu’assistante, et que c’était davantage au montage que ça se passait. J’ai donc bifurqué sur le montage et j’ai eu cette chance, assez vite, d’être stagiaire, puis assistante, etc. C’est un métier qui est peu connu quand on est jeune et intéressé par le cinéma. Ce n’est pas d’emblée quelque chose qu’on a l’idée de faire. En tout cas, à notre époque. Peut être plus maintenant, c’est plus facile de monter soi-même sur son ordinateur. Ça peut être une appréhension mais maintenant les jeunes peuvent découvrir ce métier peut-être plus facilement. Tant que l’on n’a pas mis les mains dedans, on ne se rend pas forcément compte que c’est là que ça se passe. Car c’est là que ça se passe !

P.C. : Ça parait moins ‘sexy’ qu’un tournage. On est entre quatre murs face à un écran toute la journée, avec la réalisatrice ou le réalisateur avec qui discuter. Ça parait moins vivant vu comme ça, comparé à un tournage.

S7 : En tant que femmes, avez-vous l’impression que le montage parait-plus accessible aujourd’hui, comparé au moment où vous avez commencé ?

M.M. : C’est un peu l’inverse, justement. Au départ, c’est plutôt un métier de femme. Historiquement, les premières monteuses étaient des ouvrières d’usine d’argentique, de pellicule. C’étaient des ouvrières qui collaient le négatif. En tout cas, en France, le métier de monteur a été essentiellement féminin pendant très longtemps. Avec le temps, le métier s’est plus « mixifié », sûrement depuis l’arrivée du montage virtuel, c’est-à-dire du montage sur ordinateur. Maintenant, je pense que c’est à part égale, des hommes et des femmes.

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On a 20 ans pour changer le monde (2017) - Hélène Médigue

S7 : Pauline, votre travail est davantage porté vers le documentaire : On a 20 ans pour changer le monde ; Madame B : Histoire d’une nord-coréenne ; Nos ancêtres les gauloises… Y a-t-il des différences entre le montage d’un documentaire et celui d’une fiction ? Dans quelles mesures ?

P.C. : Je ne dirais pas que c’est une différence technique, c’est toujours le même outil que l’on emploie. C’est une approche différente. En documentaire, il faut construire le récit. Il n’y a pas de scénario. Il est encore plus proche, si je puis dire, d’un travail de scénariste. C’est déjà le cas en fiction, mais dans le documentaire, l’histoire est vraiment à inventer. Il y a malgré tout une trame mais les scènes ne sont pas pré-écrites. Il faut faire avec ce qui a été capté. Mais je travaille comme cela, quoiqu’il en soit, même en fiction. On met toutes les scènes sur des fiches, avec des titres de différentes scènes, puis il faut organiser l’ordre, comment cela va se raconter… C’est plus compliqué après, d’un point de vue de production. Le documentaire est moins bien considéré en général. D’un point de vue, peut-être de salaire, mais aussi au niveau du temps de montage. Or, paradoxalement, le temps d’écriture est un temps quand même long, qu’il ne faut pas négliger. C’est à ce niveau-là où il est parfois difficile de travailler en documentaire : on a des temps souvent courts ! La technique est plutôt dans la négociation.

S7 : Mathilde, vous avez collaboré plusieurs fois avec Pascale Ferran (Lady Chatterley, Bird People) et Patricia Mazuy (Sport de filles, Bowling Saturne). Que vous apportent ces collaborations ? En quoi est-ce bénéfique dans votre travail ?

M.M. : Quand on travaille plusieurs fois avec quelqu’un, c’est souvent simplement que ça s’est bien passé et c’est agréable, car de film en film, la collaboration s’affine, s’enrichit. Le fait de se connaître de mieux en mieux fait que l’on passe moins de temps à s’expliquer, bien qu’il faille toujours discuter ensemble. Pour donner un exemple concret, sur les films de Patricia Mazuy, je commence à monter pendant le tournage. Je commence à dégrossir, à faire un premier montage. Lorsqu’elle a fini de tourner, le premier jet n’est pas fini mais cela lui permet à elle (Patricia Mazuy) de voir ce qu’elle a déjà filmé mis bout à bout. Cela lui permet d’avoir un aspect plus global du film, pour ensuite revenir sur chaque scène, sur chaque détail. Il n’y a pratiquement pas une scène sur laquelle nous ne sommes pas retournées. Le fait d’avoir déjà fait plusieurs films ensemble, ça facilite ce travail. Je me sens plus en confiance, plus autorisée à proposer un montage auquel j’ai pensé. Alors que s’il s’agit d’une première collaboration avec un ou une cinéaste, je n’aime pas commencer dès le tournage, comme on ne se connait pas. Concernant la perception des rushes, je ne sais pas si j’ai une bonne analyse de ce que je vois. Lors d’une première collaboration, on a besoin de pouvoir échanger autour du visionnage des rushes, de regarder ensemble, de discuter, de comprendre l’autre, de savoir ce qui le ou la touche. Collaborer sur plusieurs films d’une même personne a cet avantage que l’on se sent plus en terrain connu et l’on avance avec plus de confiance en soi aussi. Ce qui est toujours bon pour le film.

S7 : Plus de complicité d’une certaine manière ?

M.M. : Plus de complicité, oui, et puis quand on travaille avec la même personne plusieurs fois, c’est plus facile de dire ce qui fâche, ce que l’on trouve moins réussi, quand il y a des désaccords. Pour une première collaboration, on fait forcément plus attention, on ne connaît pas encore très bien l’autre, et le montage est aussi un travail de diplomatie. Quand on se connaît depuis longtemps, on peut se permettre d’être un peu plus brutal(e) !

S7 : Vous considérez-vous comme le prolongement du regard d’un metteur en scène / d’une metteuse en scène ?

P.C. : Non, le terme qui m’est venu est plutôt la maïeutique. La façon dont le metteur en scène veut raconter l’histoire lui est propre. A nouveau, on est plutôt comme un co-scénariste, on va l’aider ou lui proposer à mettre en forme cette histoire. On peut ne pas être d’accord. Ce ne sont pas des conflits pour des conflits, c’est pour le bien du film. Je ne parlerais pas de prolongement, mais plutôt de discussion, de réflexion, de sensation, d’interrogation. On est en permanence entre des doutes et des certitudes. On saute de l’un à l’autre et on les traverse ensemble. C’est plutôt un échange.

M.M. : Que ce soit en documentaire ou en fiction, le cinéaste arrive chargé de l’histoire qu’il a pensée, écrite, faite mûrir en lui pendant parfois des années. Nous, en tant que monteuses / monteurs, nous sommes vierges de tout cela, C’est-à-dire que l’on est les premiers regards, les premiers spectateurs du film. On reçoit les rushes, on a lu le scénario, nous sommes les premières personnes qui voyons ce qui ressort de tout ce travail fourni. Notre ressenti et notre perception de tout cela sont très importants pour faire un retour au cinéaste qui soit décollé de tous les affects et de toutes les idées qu’il avait pu y mettre. Un cinéaste veut souvent mettre tellement de choses dans une scène. Si cela ne parait pas dans les rushes, si je ne vois pas cela, il y a peu de chance que d’autres personnes le voient. Si nous n’étions que le prolongement du regard du cinéaste, nous serions presque esclaves de l’idée qu’il se faisait de son film. C’est le film qui parle. Pas le monteur, ni le réalisateur, c’est le film qui nous parle.

S7 : On parle souvent de style de mise en scène ou style de réalisation. Pensez-vous posséder un style de montage ?

P.C. : C’est une question très difficile. J’ai une amie qui récemment a vu un teaser que j’avais monté et m’a dit qu’elle avait reconnu mon style. Mais en fait, on s’adapte à un film. On parle de rythme de montage. Mais on n’impose pas ça. Le rythme est celui qu’ont donné les acteurs, les personnes filmées dans un documentaire, qu’a donné la caméra, l’histoire, etc. Après, on peut parler de fluidité.

M.M. : J’ai longtemps pensé que ça ne voulait rien dire. Je ne monte jamais de la même façon les différents films que j’ai montés. Le film, dans sa façon d’être tourné, impose une forme de montage. Il y a des films, dépendant de la façon dont ils ont été tournés, qui auront un montage âpre, haché, où il y a plusieurs possibilités de couper au vu du gros nombre de plans… Et puis, pour certains films en plans-séquence, avec certains mouvements de caméra précis, il sera plus difficile d’essayer un montage plus haché. Le style de montage du film dépend avant tout du style de cinéma. Mais je dois avouer que je pense que l’on a quelque chose de personnel dans le raccord. Pas tellement dans le rythme qui, à mon avis, est plus lié au tournage, au filmage. Mais dans le raccord, on peut posséder des spécificités. Je ne me pose pas de questions, je fais ça intuitivement.


Propos recueillis par Talia Gryson le 27 février 2024.


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Bowling Saturne (2022) - Patricia Mazuy