Cannes Challenge #6 - Les Outsiders

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Par Super Seven

le 23/05/2025

Nos yeux ont été plus gros que notre ventre, et par manque de temps avant de nous retrouver propulsés sur la Croisette, nous n’avons pas eu le temps de nous pencher sur deux cinéastes en compétition : Oliver Hermanus et Mascha Schilinski. Profitons toutefois de ce dernier billet de notre Cannes Challenge pour aborder deux cinéastes que l’on peut identifier comme des outsiders de la compétition. À raison ou à tort ?

Bien qu’en tout début de carrière, Carla Simón est déjà la coqueluche des festivals européens : ses deux premiers films ont été présentés à la BerlinaleNos Soleils a gagné l’Ours d’Or en 2022. Avec Romería, Simón entend bien s’approprier la Palme d’Or. Revenons ici sur Été 1993, sa première réalisation, dont Romería pourrait bien être une suite officieuse. Été 1993 sert de miroir à la vie personnelle de la réalisatrice qui raconte par saynètes l’été catalan de Frida chez son oncle alors qu’elle a perdu ses parents à cause du SIDA, même si la maladie n’est pas directement identifiée. Un contexte déprimant, qui la contraint à un flicage médical constant — les prises de sang pour vérifier qu’elle n’est pas contaminée, les gros gants pour la manipuler en cas de coupure — et montre son incompréhension face au nouveau monde qu’elle côtoie ; elle est ostracisée à l’école car les parents des autres élèves interdisent leurs enfants de la toucher. Mais Été 1993 prend un tournant flottant et joyeux lorsque Frida s’intègre et s’exprime aux côtés de sa cousine Anna, au gré de longs plans de discussions naturelles et improvisées qui apportent humour et charme au récit. Ce dernier a beau être légèrement décousu (on suit l’adaptation de Frida pendant un été sur quelques scènes qui ne se suivent pas), Simón instaure une fraîcheur par le champ libre qu’elle laisse aux deux fillettes. Fiction et documentaire se croisent alors dans cette envie de reconstitution nécessairement fragmentée par la mémoire lacunaire de la cinéaste (d’où le léger flou de la narration). Un processus intéressant, bien exécuté, et qui pourrait se prolonger avec Romería, qui s'attaque cette fois-ci à la vie de jeune adulte de Carla Simón, alors qu’elle doit retrouver sa famille pour valider administrativement ses études.

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Été 1993 - Carla Simón

De l’autre côté de la Méditerranée, la sélection cannoise se devait bien de compter son film italien en compétition, avec d’année en année l’impression d’un recyclage de cinéastes déjà ancrés dans le paysage européens, pour le meilleur (le très joli Vers un avenir radieux de Nanni Moretti ou encore L’enlèvement de Marco Bellocchio) et pour le pire (le ratage presque ridicule de Paolo Sorrentino avec Parthenope). Mario Martone relève malheureusement de la seconde catégorie avec son dernier film en date, Nostalgia, présenté en compétition en 2022. Il est peut être alambiqué de conclure que Martone se rêve Tarkovski à partir d’un simple titre, mais il redouble toutefois d’efforts pour nous amener à cette comparaison peu flatteuse pour le cinéaste soviétique. En témoigne, par exemple, la lévitation de la protagoniste de son Capri-Revolution (2018) qui s’élève à l’horizontale pour survoler l’île italienne, rappelant une séquence similaire dans Le Miroir. Cet extrait est le reflet de tout ce qui ne fonctionne pas dans le cinéma de Martone : un excès de symbolisme mal digéré, recraché sans réflexion sur l’intérêt propre de ces symboles au sein de récits qui essayent désespérément de toucher à une poésie qui ne transperce jamais l’écran tant elle paraît calculée. Pour revenir à Nostalgia, Martone retombe dans ses travers d’entrée de jeu, lorsque Felice (Pierfrancesco Favino) fait prendre un bain à sa mère malade, recréant grossièrement l’iconographie de La Pietà. Le cinéaste essaye ensuite de s’écarter du thriller mafieux induit pour en faire un récit sur les souvenirs et les regrets à travers le parcours de deux anciens amis dont l’un a quitté Naples pour mener sa vie de famille à l’étranger tandis que l’autre est devenu chef de gang. Ces trajectoires perpendiculaires sont étudiées avec des flashbacks de leur jeunesse aux parallèles assez grossiers avec le présent (les mêmes lieux sont filmés pour passer d’une accolade en 35mm couleurs pastels à un meurtre en scope numérique à l’éclairage glauque), et une conclusion tout aussi lourde pour marteler l’impossibilité de braver le déterminisme pour faire revenir quelqu’un dans le droit chemin. Bien sûr Martone ouvre son film sur une citation de Pasolini, preuve de plus s’il en fallait qu’il n’a pas grand chose de plus à offrir que de belles références dont il est incapable de s’extirper.


Pierre-Alexandre Barillier & Pauline Jannon


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Nostalgia - Mario Martone