Par Super Seven
Après avoir déjà évoqué une partie évidente du contingent américain dans nos billets précédents (Kelly Reichardt, Wes Anderson), place à une petite mise au point sur les deux autres cinéastes d’outre-Atlantique de cette compétition 2025, et pas des moindre puisqu’il s’agit de deux chouchous de la rédaction !
D’abord le petit nouveau, Ari Aster, dont chaque film, depuis son premier Hérédité, est un véritable événement cinéphile. Beau is Afraid avait d’ailleurs été proie aux rumeurs de la compétition il y a deux ans mais c’est Eddington qui aura les faveurs de la découverte par le public cannois. Pour parler de ce jeune cinéaste et comprendre son parcours, revenons à ses premiers courts-métrages, notamment The Strange Thing about the Johnsons. L’on y retrouve déjà son obsession pour les relations familiales – à la base des hostilités de Midsommar et au cœur d’Hérédité et Beau is Afraid – mais prise à l’envers, avec cette histoire de relation incestueuse d’un fils envers son père ; d’ordinaire, Aster montre les névroses et drames parentaux envers les enfants, Beau is Afraid (sur lequel nous sommes revenus à sa sortie) en est un parfait exemple. Cela n’est pas moins étouffant chez les Johnson, où la mère fait comme si rien ne se passait (elle préfère monter le son pour ne pas entendre ni être prise à partie), le père subit et le fils manipule celui-ci pour faire croire que tout est de sa faute. Le choc de ce retournement des rôles cède peu à peu place à une méditation sur le silence des victimes et l’impasse dans laquelle elles se retrouvent. Jamais Aster ne cherche à expliquer la raison de ce drame – le père est-il trop aimant avec son fils ? – de sorte que, malgré sa courte durée (une vingtaine de minutes), The Strange Thing intrigue par ses dialogues. Pas de possible révélation de son histoire pour le père car sa famille l’en empêche, où la cause n’est jamais révélée – la famille ne permettant jamais au père de publier ni même faire lire son autobiographie – mais un gaslighting incessant à son égard (et à celui du spectateur) en le convainquant que tout est de sa faute et qu’il doit accepter car c’est fait par amour. D’où la déception face au virage vulgaire des dernières minutes, marquées par un affrontement entre la mère et le fils qui tend au drame autant qu’il fait cheap dans son exécution – les coups ne convainquent pas, faute de budget sûrement, et tout s’effectue trop vite.
Dans le même ordre d’idée, Munchausen parodie la célèbre introduction de Là-Haut – une vie qui défile en quelques minutes seulement – en montrant une mère empoisonnant son fils petit à petit pour ne pas qu’il parte à l’université. Le tout en musique, car le film n’est pas dialogué. Munchausen annonce Midsommar dès son titre : outre la ressemblance, il est repris en broderie comme l’est le second dans cette fameuse chambre où les américains logent. Deux univers cohabitent ici, d’une part l’imaginaire de la mère avec une caméra volante , entre quelques plans à la grue et autres steadicam qui replacent toujours le personnage en leur centre. De l’autre la réalité où tout se désaxe progressivement (plans fixes, parfois légèrement au-dessus des personnages) pour laisser place à un sentiment de malaise face à l’inévitable sort du fils, condamné par les actions d’une mère trop affectueuse. Aster s’attaque à l’image de la famille américaine parfaite, où tout le monde s’aime (un peu trop) et où tout semble rouler comme sur des roulettes, à l’image de ces transitions d’une fenêtre de la maison familiale vers la cour du campus américain ensuite… C’est par ces petites recherches formelles, tirant vers le kitsch (couleurs saturées, musique too-much et des acteurs surexpressifs qui trouvent un écho dans Beau is Afraid) que Munchausen tire son épingle du jeu dans la masse informe que peut parfois représenter la filmographie des courts-métrages du cinéaste, entre essais comiques (un détective accro au sexe voyant son pénis rétrécir) et satire bourgeoise (un monologue face-caméra où l’empire du faux prévaut), par une certaine humilité face à ceux qui l’entourent.
Munchausen - Ari Aster
Américain certes, mais en amour avec la France, Richard Linklater est de retour à Cannes pour la première fois depuis 2006 (A Scanner Darkly et Fast Food Nation) avec Nouvelle Vague, film sur le lancement du mouvement de cinéma éponyme et en particulier le tournage du mythique À bout de souffle. Plutôt habitué des sélections berlinoises, où il était d’ailleurs présent cette année avec le superbe Blue Moon (nous vous invitons à lire notre billet depuis la Berlinale sur la question), quoi de plus logique qu’une première française pour ce titre qui promet de voir déferler dans les critiques le fameux “lettre d’amour au cinéma”.
Linklater n’a jamais masqué son admiration pour le cinéma français et en particulier la Nouvelle Vague, autant dans ses recommandations régulières comprenant leur lot de films de Jean-Luc Godard, François Truffaut, Alain Resnais, Eric Rohmer et l’on en passe que dans leur influence palpable à travers son oeuvre. Déjà dans Génération Rebelle (Dazed and Confused en version originale), on sent le réalisateur inspiré du vent de liberté français ayant gagné plus tard les Etats-Unis avec son récit déconstruit et flottant sur une bande d’adolescents qui errent joyeusement dans les rues en flirtant et fumant du cannabis. Tourné en bande et accompagné d’une bande originale toute droit sortie des années 70, cette œuvre devenue culte capture avant tout les états d’âmes multiples d’une jeunesse pas moins inquiète que dans l’ère post-Vietnam.
Difficile aussi d’occulter ses tournages fleuves, de Boyhood (réalisé sur douze ans) à son projet Merrily We roll along actuellement en production mais qui ne devrait pas voir le jour avant 2040, en passant bien sûr par la trilogie Before dont chaque opus est sorti neuf ans après le précédent. Dans celle-ci, le travail ultra-minutieux de Linklater sur les dialogues, dont il ne laisse quasiment pas ses acteurs dévier, contraste avec le rendu très naturel de la romance entre les personnages (portée par une alchimie presque magique entre Ethan Hawke et Julie Delpy). On s’abandonne à leurs côtés dans les rues de Vienne, sur la Seine ou sur une île grecque, dans un geste qui rappelle celui rohmerien de savoir user de dispositifs artificiels pour toucher au plus juste des sentiments.
L’expérimentation formelle de Linklater ne se limite toutefois pas à ses racines dans la Nouvelle Vague, lui qui a touché à de multiples genres (comédie noire avec Bernie, film de braquages avec The Newton Boys…), et qui s’est essayé autant à la fiction qu’au documentaire ou la série, en passant bien évidemment à plusieurs reprises par l’animation. Le dernier exemple en date est Apollo 10 ½, film autobiographique sur un enfant qui se rêve astronaute et dont la technique de rotoscopie (animation à partir de prises de vues réelles) matérialise parfaitement l’idée de fantasme éveillé d’une jeunesse qui rêve d’échapper à sa réalité. Le film a bénéficié d’une diffusion sur Netflix, mode de distribution devenu malheureusement habituel pour Linklater qui n’a pas connu de sortie en salles en France depuis Last Flag Flying en 2017 (avec pourtant la production de cinq films depuis). Nous n’avons pas encore de nouvelles de Blue Moon, mais savons d’ores et déjà que Nouvelle Vague marquera son retour sur nos grands écrans en octobre prochain (il ne pouvait en être autrement !).
Pierre-Alexandre Barillier & Pauline Jannon
S7
Apollo 10 ½ - Richard Linklater