Cannes 2025 #1: Ouverture(s)

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Par Super Seven

le 16/05/2025

On le sait, les ouvertures du Festival de Cannes ne brillent pas toujours lorsqu’il s’agit de démarrer en grande pompe. Partir un jour, le premier long d’Amélie Bonnin, n’y échappe pas. Adaptation du court-métrage césarisé du même nom, la recette est plus ou moins la même malgré une inversion genrée des parcours : Cécile (Juliette Armanet), grande cuisinière en passe d’ouvrir son restaurant, revient dans son village natal pour aider le relais routiers de ses parents et tombe par hasard sur un ancien flirt, Raphaël (Bastien Bouillon), resté ici et devenu garagiste. À cela se mêle la pointe d’originalité du court, la comédie musicale. Malheureusement, les numéros musicaux ont rarement le temps de respirer voire d’exister — la plupart ne s’étale pas plus que sur une pauvre minute et est réduite à du champ-contrechamp peu inspiré — et sont aussi le marqueur daté du film. Car, au-delà des constants rappels à leur relation passée (Cécile et Raphaël finissent même par revisiter un épisode clé de leur histoire en restant leur “moi” présent), la nostalgie – moteur du récit – se retrouve dans le choix des musiques. Du Femme Like U de K.Maro aux Soirées-là de Yannick, en passant par Dalida, deux fois, tout y passe dans cette relecture millenial d’On connaît la chanson mais la ringardise – parfois assumée, souvent non – prend le pas et crée une dissonnance. Les réactions de la salle de presse le traduisent : les jeunes — qui ont pourtant grandi avec une majeure partie de ces musiques — soufflent tandis que les personnes plus âgées rigolent et pleurent. On aurait facilement pu le deviner dès son titre, tiré de la chanson des 2be3 (qui conclut le film alors qu’elle ouvre le court-métrage), référence démodée qui colle bien au projet. Du côté de la narration, rien ne se développe. Une grossesse non-voulue, un mariage à mal, les différences sociales entre Paris et la ruralité… des sujets discutés mais qui font du surplace. Partir un jour est tiraillé entre deux horizons : le film-karaoké populaire régressivement fun, où il s’en sort honorablement, et le film d’auteur campagnard entre tradition et modernité tendance Vingt Dieux ou même L’amour ouf, où il sombre totalement. Aucun enjeu ne prend corps, faute d’une écriture grossière (Top Chef vs le resto-route, masculinité nécessairement violente et égoïste face aux femmes) de sorte que la résolution où tout est beau et tout va bien paraît imméritée. Reste la présence (toujours) solaire de Dominique Blanc (la mère de Cécile), qui participe aux quelques gags réussis, entre l’interruption soudaine de Je l’aime à mourir de Cabrel et une interprétation endiablée de Paroles Paroles de Dalida-Delon. Capital sympathie de cette histoire, notamment sur la veine parentale, elle apporte une émotion qui manque cruellement à l’ensemble, engoncé dans son scénario en pilote automatique. Difficile également de ne pas relever le talent de chant de Juliette Armanet, qui ne joue pas toujours très juste mais émeut par le simple son de sa voix quand elle peut exister. Une ouverture en demi-teinte donc, et, si vous nous permettez la référence, peut-être le premier jour d’un fiasco ?

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Du côté de la Semaine de la Critique, c’est la belge Laura Wandel – déjà passée à Cannes avec Un monde – qui a les honneurs d’ouvrir cette sélection parallèle, avec son second long-métrage L’Intérêt d’Adam. Comme Un monde, l’univers de l’enfance est en son cœur, ici à travers la pédiatrie pour dérouler un combat d’égos entre Lucy (Léa Drucker), une infirmière, et la mère d’Adam, Rebecca (Anamaria Vartolomei). Si l’objectif est qu’Adam, atteint d’une sévère malnutrition, aille mieux, aucune des deux ne veut changer d’avis. D’un côté, Lucy veut faire manger naturellement Adam sans compromettre la place de la mère dans l’équation, tandis que cette dernière continue de nourrir son fils à sa façon, tout en gardant son enfant pour elle et elle seulement alors qu’un juge risque de lui retirer la garde. Un point de départ peu joyeux, que Wandel exécute à la manière de ses compatriotes (et producteurs du film), les Dardenne. Une caméra à l’épaule qui suit ses personnages, très souvent à leurs hauteurs et ne coupant que très rarement, qui contribue à l’étau progressif qui se resserre sur les deux femmes alors que chacune de leurs actions engendre des conséquences. Pour Lucy, c’est un risque de faute au travail (son superviseur lui ordonne de quitter le travail plus tôt, ce qu’elle ne respecte pas), et pour Rebecca de blesser son fils – en tombant avec lui dans les escaliers, pendant leur fuite. Une tension renforcée par une dimension sonore étouffante où le silence n’a pas sa place – entre les bruits de machine, des cris de bébés et d’enfants et le mouvement infirmier. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que ce soit un son, de voiture et intense, qui conclut par une coupe au noir, alors même que le huis-clos se rompt par une sortie de l’hôpital. La force de L’intérêt d’Adam est son efficacité, par sa courte durée (75 minutes) et son dispositif, qui, sans bouleverser les codes, offre un moment aussi intense que mineur.


Pierre-Alexandre Barillier


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