Carnet de bord Cannes 2023 #1

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Par Super Seven

le 22/05/2023


Cannes - Bilan 1 - Portraits et paysages

Enfin nous y sommes, empaquetés sur la Croisette (où, croyez-nous, il ne fait pas bon circuler lors d’une première de Scorsese), à écumer les salles du Palais des Festivals, mais aussi son fameux stand Nespresso, sans lequel nous ne serions pas là aujourd’hui – et à qui nous dédions toutes nos victoires face à la démoniaque billetterie. Le festival avait déjà fait couler des litres d’encre bien avant de démarrer, pour des choix polémiques de personnalités invitées, ainsi qu’un nombre record de grands cinéastes français snobés par l’officielle. Mais fini le tumulte des bavardages préliminaires, nous voilà plongés dans celui des dizaines de films à découvrir chaque jour. Tumulte des images qui s’enchaînent et qu’on ne peut pas aborder exhaustivement ; il sera temps de se pencher sur chacun à leur sortie en salle. Prenons quand même la température d’un début d’édition bien pluvieux. Un mode récurrent est celui du documentaire proche du défi formel – Wenders, Wang Bing, McQueen –, mais c’est sans parler de la sensation-surprise d’une Quinzaine des Cinéastes qui commence sur les chapeaux de roues et d’une compétition aux airs inhabituels.

Le premier des deux films de Wim Wenders en sélection officielle, Anselm, est un documentaire portant sur l’art du sculpteur allemand Anselm Kiffer, ou plutôt une plongée onirique dans les univers qui traversent sa vie et son œuvre, notamment à travers l’usage de la 3D. Cependant, tout semble dévoué à un désir de "faire sompteux", Wenders filmant l’art et la nature avec le plus grand maniérisme, jusqu’à verser dans le psycho-métaphysique avec des séquences de fiction qui reconstituent l’enfance de l'artiste. Une parure publicitaire qui a bien peu d’intérêt pour aborder un artiste particulièrement rugueux et brut que Kiffer, d’autant que chaque nouvelle proposition décorative fait sombrer le film un peu plus loin dans le kitsch.

Dans une tout autre approche documentaire, plus sobre, Occupied City de Steve McQueen – présenté en séance spéciale –, juxtapose des images contemporaines d'Amsterdam avec des récits de ce qui s'est passé dans des lieux spécifiques de la ville pendant l'occupation nazie, dans le but d'établir un lien entre les différentes époques. Dès les premières minutes, on est frappé par l'impact visuel et émotionnel de ce collage temporel. Les images d'Amsterdam d'aujourd'hui se mêlent habilement aux récits narrés par une voix off, créant une expérience immersive et profondément poignante. Avec cette approche quasi-audioguidée, McQueen donne à la ville elle-même un rôle de narratrice. Chaque adresse, chaque rue devient un témoin silencieux des horreurs passées et des luttes actuelles. On est transporté à travers les lieux où des familles juives ont été cachées, où des résistants ont été exécutés, et où des actes de trahison ont eu lieu. Toutefois, McQueen ne se contente pas de relater les faits historiques. Il nous invite à faire le lien entre le passé et le présent, en soulignant les similitudes troublantes entre la vie pendant l'occupation et la réalité contemporaine marquée par les confinements et les manifestations contre les mesures gouvernementales liées à la pandémie de COVID-19. Cette mise en parallèle subtile et puissante résonne profondément, rappelant que l'histoire n'est jamais vraiment révolue, et que les leçons du passé restent pertinentes aujourd'hui.

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Occupied City - Steve McQueen

Question pertinence, la sélection de Black Flies de Jean-Stéphane Sauvaire en compétition, annoncée à la dernière minute, avait surpris tout le monde tant le potentiel cannois du film était passé sous les radars. Or, cette entrée audacieuse est également judicieuse. On y suit Tye Sheridan et Sean Penn dans l’horreur quotidienne de leur métier d’ambulancier. Sauvaire déploie un maelström sensoriel, ultra-violent, pour capter le chaos new-yorkais, l’urgence et l’agonie. Une immersion de plus de deux heures dans ces vies irrespirables, et notamment dans la psyché torturée d’un Tye Sheridan transi, exceptionnel dans ce qui apparaît comme le rôle de sa vie. D’une allégeance scorsesienne (on pense bien sûr À Tombeaux Ouverts), Sauvaire tire une prouesse de mise en scène qui lui est propre. À travers un magistral, le film s’articule autour de flashs de narration, qui s’entrecoupent, se contaminent, se raccordent par la texture ou la symbolique hallucinatoire. La grande réussite de Black Flies est sans doute celle de maintenir la tension implacable en jouant des codes du thriller psychologique d’action, sans jamais s’outiller d’autre récit que le quotidien – à l’exception d’un dernier tiers, moins convaincant. 


De son côté, la Quinzaine voit, avec The Sweet East, Sean Price Williams rejoindre le club des cinéastes dont la voix jaillit déchaînée dès leur premier film. Cet Alice au pays des merveilles dans les contrées du Nord-Est étasunien suit les pérégrinations de la jeune Lilian dans un monde hystérique, épileptique. Dès l’ouverture, qui raconte le voyage d’étudiants à Washington DC tendance Spring Breakers, le ton est donné : images pellicule et images numériques se mélangent dans un montage effréné, qui fait feu de toute frénésie. Sans transition, c’est par une scène de comédie musicale que nous est introduite le personnage central. Plongés dans cet entrechoquement de mille esthétiques, on suit la fugue de la jeune femme, indécise, presque cynique, et qui cherche sa voie dans une série d’aventures (tour à tour au sein d’un groupe wannabe terroristes anarchistes, au bras d’un dandy nazi interprété par le lunaire Simon Rex – déjà croisé dans Red Rocket de Sean Baker –, ou encore sur le tournage d’un film indé). Au gré de ses amalgames, de tons et de de textures, The Sweet East se veut catalogue de tous les élans esthétiques et politique contemporains, autant qu’il sonde joyeusement le folklore du « vieux » pays qu’il traverse.


Victor Lepesant & Timothée Ravet-Salmon


P.S. : Outre ce bilan, vous pouvez également retrouver une critique de Monster d’Hirokazu Kore-eda (compétition) sur le site, dont voici un bref extrait pour vous mettre l’eau à la bouche.

« Tout commence pourtant facilement, les règles habituelles du cinéma de Kore-eda étant là, comme pour créer un sentiment de confort. Mais rapidement, Monster lorgne vers son sujet d’une manière inattendue, et glisse peu à peu dans l’incertitude et le mystère d’une mère qui ne comprend pas son enfant. Dès lors, toute éventualité de lassitude est balayée du revers de la main. »

Pierre-Alexandre Barillier

Pour lire la suite :
https://superseven.fr/critique-film/monster



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The Sweet East - Sean Price Walker