Par Super Seven
Comme tous les ans, le Festival La Rochelle Cinéma est un événement. Ou presque. Cette 52ème édition est quelque peu éclipsée par l’éléphant sur le port qui anime toutes les langues, même celles de bois. « Et toi tu rentres pour voter ou t’as fait une proc’ ? » entend-on davantage avant le lancement des hostilités que le traditionnel « Et toi tu vas privilégier cette rétro ou celle-ci ? ». Il faut dire que l’heure est difficilement au cinéma et que le magnifique programme du FEMA (Marcel Pagnol, Chantal Akerman, Natalie Wood…) ne fait pas le poids face à ceux à décortiquer des différents partis candidats aux législatives – encore faut-il qu’il y ait programme à lire cf. le R’haine. Vous l’aurez compris, le fait que la manifestation soit enclavée par deux dates déterminantes pour l’avenir empêche de vivre le moment au présent, d’oublier ce qui nous entoure et risque de nous étouffer. Les organisateurs l’ont également compris lors de la soirée d’ouverture. Après un cocktail pour se requinquer à base de produits végétar/liens, les discours d’introduction se sont enchaînés en crescendo. D’abord l’adjointe au maire Catherine Benguigui, manifestement tremblante d’émotion, a évoqué « un vent mauvais qui souffle sur la France » et la nécessité de « défendre la diversité, l’ouverture à l’autre » sans oublier de rappeler que « la politique est une affaire résolument culturelle ». Une belle entrée en matière. La salle est réactive, plébiscite cette première prise de position. Est-ce étonnant cela dit ? Pas vraiment, le public est très certainement déjà acquis à la cause entre personnes du milieu du cinéma et rochelais avertis – même si les fafs savent parfois se faire discret. Mais cela ne fait rien, autant prendre ces élans de soutien et positiver, ce n’est pas tous les jours qu’on entend ce qu’on aime… Quand Florence Henneresse, présidente de l’association du festival, prend la parole, on la sent elle aussi chamboulée par le poids des maux. Elle avoue ne pas oser dire tous ceux qu’elle pense mais déclare que « le festival peut être un rempart solide contre l’ignorance, l’intolérance et la division » avant de nous offrir cette phrase un peu facile quoique mignonne : « Le cinéma peut changer le monde de chacun ». 2-0. Ce n’est pas un soir d’Euro et pourtant la France n’a jamais semblé si battante.
Sylvie Pialat et Arnaud Dumatin, respectivement présidente et co-directeur général du FEMA, prennent aussi la parole, toujours dans cette lignée avec peut-être moins de surprise mais tout autant de volonté. C’est pour mieux préparer le grand chelem final. Sophie Mirouze, co-directrice générale et directrice artistique, ramène concrètement le programme du festival sur la table. L’échauffement est fini, place aux combattants. Elle rappelle le caractère populaire de Pagnol, le symbole féministe qu’est Akerman, celui de résilience qu’est Rasoulof et la pertinence de revoir l’œuvre de Haneke aujourd’hui tant son rapport à la violence nous est proche. On ne peut qu’acquiescer et on en viendrait presque, ironiquement, à souhaiter que ce rituel blabla (qui a rarement été aussi puissant, disons-le) s’arrête pour passer aux visionnages. Mais il était écrit que ce 28 juin 2024 serait une belle soirée. Non, une sublime soirée. Le blabla s’arrête en effet pour laisser place à l’expression la plus limpide qui soit. Une tirade conclusive de Mirouze sur les valeurs du festival : « démocratique, citoyen, féministe, écologique… », suivie d’une invitation à la tribune pour le collectif « Sous les écrans la dèche ». Après les films sur la table, les pieds dans le plat. Louise Rinaldi et Victor Bournerias, représentants du soir, sont venus pour en découdre avec poésie, se partageant le temps de parole avec une agréable musicalité. Une attaque placée contre l’extrême droite et son désir de détruire l’intermittence, statut que réclament ces personnes de l’ombre contraintes à une précarité telle qu’elles envisagent de changer d’activité. Puis un tacle bien senti à la réforme de l’assurance chômage et plus particulièrement à Attal pour son décret du 1er juillet qui durcit encore les conditions d’accès à l’indemnisation. Rappelons qu’il faudra désormais justifier de huit mois de travail sur une période de vingt mois tout en ne pouvant cumuler que quinze mois d’indemnisations. Mais à part ça, tout va bien, les inégalités se creusent à mesure que la trique des plus aisés se durcit. Pendant ce temps-là, « Sans nous, plus de FEMA » concluent nos camarades. Et « plus de FEMA », on ne l’accepte pas. Tonnerre d’applaudissement pour les saluer et, quelques minutes plus tard, pour accueillir le dernier joueur, Alain Guiraudie qui salue la prise de parole précitée. « Ça fait deux Euro que je suis venu ici, c’est une manière solide de compter » enchaîne-t-il. Le foot, on y revient dans ce temps additionnel d’une soirée qui approche les 40 minutes. Et tel Emmanuel Petit crucifiant le Brésil à la dernière minute en 1998, l’occitan dénonce lui-aussi Attal, soutient la Palestine en disant que « l’on supporte des choses insupportables » avant de déclarer que pour « les kanaks, les migrants, etc. votez dimanche mais votez bien ! ». 3-0.
Et le film d’ouverture, Miséricorde, dans tout ça ? Sublime bien sûr, à l’image de ce qui l’a précédé. Nous en avions déjà dit du bien en sortie de projection cannoise et c’est d’autant plus confirmé aujourd’hui. Guiraudie arpente les sentiers du désir avec rigueur et dérision, convoquant d’abord la violence sourde de L’inconnu du lac pour ensuite mieux embrasser l’absurdité dévorante de Viens je t’emmène – lui aussi tiré du roman Rabelaïre du cinéaste. Miséricorde tire sa force de son sens de la répétition, entre Jérémie qui se fait réveiller chaque nuit par son meilleur ami jaloux puis un policier envahissant, les irruptions aléatoires du prêtre qui ne cessent pas (on pense au Satan de Bouvier chez Pialat) ou ces vaines balades forestières à la recherche de champignons. Derrière ces circonvolutions réside un étrange mal-être, celui d’un désir masculin incapable de s’exprimer au risque de passer à côté de l’amour. C’est là que le curé prend tout son sens, renvoyant sa fonction et ce qu’il représente à la notion clé de la religion qu’il dépouille du reste des travers potentiels. « Aimez-vous les un autres » nous rappelle-t-il, « et ce même si les autres ne vous aiment pas de la même manière » avons-nous envie de rajouter. Le cinéma de Guiraudie respire et c’est pour ça que nous l’aimons. Comment ne pas rire quand Walter sert involontairement un pastis trop chargé à Jérémie ? Tout indique qu’il s’agit d’une fausse manip’, donc d’une réussite authentique. Tout comme les morilles ne sont pas censées pousser en automne, Miséricorde est constamment décalé dans le temps et l’espace ; prenons comme preuve le prêtre qui demande à se faire confesser par Jérémie dans une sublime scène d’inversion des rôles en champ contrechamp au clair-obscur saisissant. C’est un rêve perdu qui refait surface et qui s’impose tranquillement. Comme le dit plus tard le prêtre à Jérémie, alors au bord du précipice, ce dernier n’a pas sauté car il pensait à quelque chose qui pourrait le raccrocher à la vie, une raison. Difficile de ne pas penser à notre propre situation politique, lorgnant plus que jamais vers l’abîme. Heureusement, Miséricorde. On sort de la salle ragaillardi, plein d’espoir après une soirée réussie. Comme disait l’autre, We will survive.
Elie Bartin