Par Super Seven
QUEERPANORAMA
Dans Queerpanorama, un mystérieux jeune homme hong-kongais enchaîne les rencontres Grindr, fait l’amour et discute longuement avec des hommes de tous les horizons – l’occasion d’arpenter une ville au multiculturalisme foisonnant. Il raconte une nouvelle vie à chaque rencontre, reprenant des éléments volés à ses précédents partenaires, dont il se sert pour meubler un vide identitaire dont il semble souffrir. Ce motif de l’emprunt biographique semble d’ailleurs refléter le processus même du cinéaste Jun Li, dont l’exercice d’écriture agrège ses propres expériences et celles de ses acteurs secondaires non-professionnels, pour fabriquer un personnage carrefour. Dans une forme minimaliste, où chaque séquence donne lieu à un plan fixe, tout est fait pour préserver la continuité entre l’acte sexuel et la conversation qui suit ou précède. C’est par un texte théorique mais brillant que Jun Li élabore sa réflexion à trois étages. D’une part, la description d’une vie queer, marquée par la solitude et la prise de risque dans un état de liberté sexuelle totale ; de l’autre, les obstacles à la communion d’une cité culturellement disparate et en pertes de repères politiques (le désespoir face à la répression de la révolte de 2019 est souvent abordé), et Hong Kong est filmée extensivement, séparément du reste, entre les scènes de narration ; enfin, un regard plus abstrait sur les possibles du corps comme outil pour rassembler l’humanité. Le sexe agit bien sûr comme acte de fusion qui, de surcroît, déclenche la parole – on aborde aussi la possibilité de regrouper les gamètes de deux hommes pour féconder un seul œuf, et pourquoi pas l’idéal de regrouper toute l’humanité en un seul individu. Dans cette circulation cyclique des idées, le garçon qui voudrait être tout le monde à la fois se cloître dans l’écriture ; une dernière séquence rebat les cartes lorsqu’un danseur l’invite à faire quelque pas, l’occasion pour Li de désobéir à la règle d’immobilité de sa caméra avec un lent travelling oblique. La danse et le cinéma se coordonnent comme arts du mouvement et donnent à voir un autre point de convergence entre les êtres.
Cela rend d’autant plus triste la polémique la plus virulente du festival suite à la présentation de ce film. Faute de pouvoir passer un message enregistré lors de la première, à laquelle nous avons assisté, Jun Li a fait le choix de lire le texte de son comédien Erfan Shekkariz, fustigeant le massacre des Palestiniens par l’état d'Israël et la complicité des institutions occidentales. La précédente édition du festival avait déjà fait des remous en Allemagne, certains discours de la cérémonie de clôture ayant été jugés trop engagés en faveur de la Palestine par diverses personnalités politiques. Cette fois, alors que la prise de parole de Jun Li a bruyamment été interrompue par les commentaires indignés, on apprend par le Berliner Morgenpost qu’une enquête a été ouverte par le parquet régional de Berlin après une plainte concernant l’incident. Queerpanorama pose la question de la rencontre et de l’écoute entre les communautés, qu’elles soient ethniques, politiques ou sexuelles. Un film parfaitement taillé pour un festival dont il est de l’essence d’accueillir l’engagement du discours comme de la forme. Dans une situation où le débat laisse place au rapport de force, nous espérons que cet espace de parole et d’exposition puisse en rester un pour les années à venir.
Queerpanorama - Jun Li
HELDIN (Late Shift)
En Berlinale Special — le hors-compétition berlinois, si vous préférez — a été présenté Heldin de Petra Volpe (découverte en France avec Les Conquérantes), film “facile” pour de fortes réactions du public tant il se rattache au genre du « thriller social », assez présent ces dernières années. À mi-chemin entre À plein temps (le rythme effréné, les travailleurs essentiels…) et 12-Hour Shift (les nombreuses situations marquées et le rôle d’infirmière, mais l’horreur et les tripes en moins), le récit se déroule sur des rails bien fixés par le sous-genre : un début posant le contexte et les lieux (unique ici, un hôpital public) ainsi qu’une panoplie de personnages qui reviennent ponctuellement barrer le chemin de Floria Lind, infirmière devant tous les gérer et ce, jusqu’à une asphyxie graduée puis un craquage total. Du moins c'est ce que l'on croit pendant 60 minutes, surtout quand la mise en scène de Volpe utilise des procédés bien connus : un plan-séquence pour chaque situation tendue puis on fait souffler le spectateur entre deux soins infirmiers par un montage plus posé, une caméra plus fixe… Mais là où Heldin surprend, c’est par sa rupture avec ce modèle. Le troisième acte se veut bien plus calme et se concentre sur les conséquences (une mort, un patient qui s’enfuit, une réaction allergique…) plus que sur l’action en elle-même — même si cela reste un facteur de stress, cela s’effectue à un rythme beaucoup plus doux pour le personnage et l’audience. Le film se permet même quelques touches d’humour, déjà présentes auparavant mais ici multipliées, qui marchent et permettent au film de changer de registre malgré sa courte durée (90 minutes, une norme à la Berlinale). L’on peut notamment citer la vengeance de Floria envers un client en lui jetant sa montre par la fenêtre (ce qui a valu les applaudissements de la salle), un acte libérateur sur le moment mais qui se transforme en épée de Damoclès sur l’infirmière, contrainte de retrouver la montre en question pour éviter des représailles. Le vrai pari de Heldin est de reposer intégralement sur le charisme et le jeu mutique et physique de son actrice principale Leonie Benesch (vue très récemment dans 5 Septembre), qui sert de guide au spectateur malgré le manque de caractérisation — logique, l’on ne prend qu’une maigre partie de sa vie dans un moment où le travail prend le dessus sur quelconque discussion ou confort de vie — tant elle est de tous les plans. Il suffit d’avoir déjà été hospitalisé quelques jours pour comprendre que l’impatience de patients en souffrance vire très vite à l’égoïsme, ce qui n’est pas arrangé par le sous-effectif du personnel infirmier. C’est en se rendant compte de sa simplicité que le film transforme une idée facile et grossière en quelque chose de touchant : il s’agit seulement d’une soirée (certes très mouvementée) dans la vie d’une infirmière qui, elle, n’est pas capable de déconnecter de cela en rentrant chez elle. Une image très littéralement mise en scène ici dans son plan final – assise dans le bus, Floria est rejointe paisiblement par une de ses patientes décédées plus tôt –, touchant mais ruiné par une musique mielleuse à souhait.
THE THING WITH FEATHERS
Entre le film précédent et celui-ci, on ne peut pas dire que le Berlinale Special soit le royaume de la finesse. Avec The Thing with Feathers, il n’est pas question de faire chercher bien longtemps que représente quoi dans le film, tout y est trop littéral. C’est d’ailleurs cela qui inquiète au début, lui qui commence comme un film d’horreur sur le deuil — un Benedict Cumberbabadook ? — qui semble très vite montrer ses cartes : une créature (un grand costume-marionnette de corbeau) tourmente psychologiquement Père, seul nom donné au personnage principal, et ses deux enfants après la perte inattendue de la femme-mère de famille. Pour cela, la mise en scène et le montage s’adapte : plans rapprochés, coupes très franches et rapides, une musique mystérieuse… pour créer une ambiance angoissante qui ne marche pas tant que ça, faute d’originalité (l’attaque du corbeau difficile à comprendre avec les coupes trop rapides, le démon prenant l’apparence de la défunte mère…) — et ce n’est pas aidé par l’utilisation du ratio carré, monnaie trop courante pour créer une ambiance oppressante. Néanmoins, The Thing with Feathers prend peu à peu son envol vers d’autres horizons, d’abord le drame « psychologique » quand le corbeau s’avère être une métaphore du “bon” deuil avant de retourner vers l’horreur quand le “mauvais” deuil pointe le bout de son nez –, un démon-fantôme à la The Grudge, bien trop vite expédié malgré un carton lui étant consacré. Le corbeau et le démon étant beaucoup plus grands que les autres personnages, leur affrontement final vire au film de kaiju, des litres de sang et des tripes sur les murs en plus. Un gros bordel donc, conscient de sa littéralité et qui tente d’échapper à cela par un mélange de genres pour accrocher le spectateur sur un chemin bien familier.
Victor Lepesant & Pierre-Alexandre Barillier
Nos tops/flops vol.3
Top PAB : L’efficacité du S-Bahn lors des grèves de transport des 20 et 21 février.
Flop PAB : L’horrible réseau téléphonique de Berlin & les Wi-Fi publiques…
Top Victor : Le discours de Radu Jude qui met en garde face à la montée de l'AfD : "puisque vous avez les élections demain en Allemagne, j'espère juste que le prochain festival ne sera pas ouvert par Le triomphe de la volonté de Leni Riefenstahl."
Flop Victor : Le score historique de l'AfD vingt-quatre heures plus tard.
S7
The thing with feathers - Dylan Southern