Carnet de bord Berlin #7

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Par Super Seven

le 26/02/2023


Berlinale 2023 – Jour 7 : check-out mouvementé et bouclage de boucle

Ça y est, nous y sommes, le dernier jour de couverture de cette Berlinale 2023. Une première pour moi, qui donne envie de réitérer tant la variété dans les films vus m’impressionne, malgré quelques couacs – la plupart en compétition d’ailleurs… Un dernier titre de celle-ci me faisait envie justement, à savoir Mal Viver, première du diptyque constitué avec Viver Mal, lui présenté en section Encounter, du cinéaste portugais João Canijo. Le second étant le contrechamp du premier, en parler d’un seul bloc me paraît intéressant bien que les deux n’aient, en réalité, pas grand-chose à voir. L’ensemble se situe dans un hôtel sur le déclin, sur la côte nord du Portugal, hôtel géré par une poignée de femmes issues de la même famille mais de générations différentes. Alors que des clients viennent séjourner, la fille de Piedade revient elle aussi et déclenche – plus ou moins – malgré elle une crise collective où les rancœurs enfouies depuis des années s’expriment. Mal Viver est centré sur ces femmes, leurs relations , leurs petits secrets et, surtout, leurs intérêts personnels. Canijo se la joue bergmanien dans ce Cris et chuchotements lusophone, avec une mise en scène extrêmement rigoureuse, composée de longs plans fixes dans lesquels les rapports de force passent par les positions des corps et leurs mouvements. Cet impressionnant formalisme, parfois complaisant – contemplation gratuite, léger maniérisme –, fait le sel de cette tragédie où tous les coups semblent permis. Ainsi, les remarques sur le poids fusent, une femme de chambre trompe sa conjointe-collègue avec un client connu dans la douche de la piscine, une violence mentale et physique s’exerce. Ces femmes au cœur de la crise de nerfs font preuve d’une haine pugnace dont on ignore les réelles raisons. Ce faisant, Canijo évacue toute dimension psychologique pour se concentrer sur le vide, le délabrement, à l’instar de la façade de l’hôtel qui fait grise mine, surtout quand on apprend qu’il est sur le point d’être vendu. Une fin du monde qui trouve son écho dans celui, bien vivant, des clients.

Car Viver Mal, lui, délaisse le drame pour flirter avec la satire de la bourgeoisie sauce Östlund. Découpé en trois segments, librement inspirés de August Strinberg, il s’agit d’un complément au premier film, un éclairage sur ce qui est en réalité de le nerf de la guère : la cruauté des femmes, notamment des mères oppressantes et destructrices. Viver Mal est donc plus cynique, grinçant. En témoigne son premier chapitre où Jaime (Nuno Lopes que l’on avait adoré dans Tout le monde aime Jeanne), auteur célèbre – et visiblement volage –, et sa compagne influenceuse Instagram viennent passer un week-end à l’hôtel. Souvent filmés derrière des vitres, les ramenant à ce qu’ils sont – des pantins derrière un écran –, ils se prennent la tête à cause de la mère envahissante auquel est soumis l’un (il préfère décrocher son téléphone que répondre aux avances de sa compagne) et l’adultère avec le meilleur ami commis par l’autre. Festival de punchlines amères, soupe à la grimace et drame enfoui sous la comédie, cela donne le ton. Les deux autres parties sont pourtant moins amusantes, entre une mère qui aime un peu trop le mari de sa fille, et une autre qui n’aime pas du tout l’amoureuse de sa progéniture. Canijo développe un certain mépris envers les classes aisées mais en prenant le soin de s’intéresser à leurs victimes, souvent des femmes, évitant ainsi de tomber dans la gratuité un peu lâche. Cela dit, il manque une profondeur, de la densité à ces personnages pour nous émouvoir. Si Canijo nous montre bien des gens qui vivent mal, il a plus de mal à nous communiquer le mal de vivre de tous les autres. La proposition est donc audacieuse, le résultat mitigé, à l’avantage du premier film plus abouti et saisissant.

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Mal Viver - João Canijo

Saisissant, le dispositif minimaliste mais ô combien dense de De Facto l’est. Selma Doborac aborde les crimes contre l’humanité frontalement, en reconstituant, par un collage de textes et témoignages, un échange entre un ancien tortionnaire de camps et une sorte de philosophe-psy, tous deux incarnés par deux acteurs parlant comme si de rien n’était. Un seul décor, un temple dans un jardin viennois avec deux tables et deux chaises, et neuf plans dont huit constituant un champ contrechamp. L’idée maîtresse est ici de questionner la manière d’évoquer un tel sujet, l’horreur de la guerre, sans passer par l’image de celle-ci. En effet, il ne s’agit que d’entendre, dans des monologues monocordes longs mais à la fiction rapide et triviale, les exactions commises, l’imagination faisant le reste pour nous. Démarche étrange, qui se veut pure en un sens par son refus de faire de la mort un spectacle, mais qui assomme quelque peu par les longues tirades débitées inlassablement. Aussi, et c’est là que l’entreprise de Doborac s’avère périlleuse, le «soldat» énonce les différents crimes commis, en questionnant sa part de responsabilité qu’il admet de manière générale, même lorsqu’il n’a pas participé – notamment aux tortures sexuelles dont les récits tordent le ventre de douleur –, mais qui est remise en question par son interlocuteur qui arriverait presque à lui faire croire que tout va bien. De Facto parvient dès lors à rendre compte de la complexité de l’âme humaine en la poussant dans certains retranchements. Une personne ayant participé de près ou de loin à des exécutions, viols sans broncher peut-il être pardonné ou, du moins, arriver à avoir l’esprit tranquille ? Aucune réponse n’est donnée, mais un profond sentiment de vertige s’installe, celui d’une plongée dans la cruauté d’un passé pas si lointain, et en constater la terrible banalité d’alors.

Pour me remettre de ces émotions contenues, et finir en légèreté mon programme berlinois, Between Revolutions de Vlad Petri. Documentaire teinté de fiction, ou plutôt d’imagination, Between Revolutions raconte l’amitié (ou plus ?) de jeunes femmes dans les années 70/80 à travers les lettres qu’elles s’envoient quand l’une des deux, d’origine iranienne, quitte la Roumanie pour prendre part aux revendications politiques de son peuple contre le Shah. Construite à partir de documents des services secrets Roumains, cette relation épistolaire dresse le double portrait de systèmes politiques en mutation au gré d’un collage d’archives montrant les luttes au cœur des deux pays avec pudeur et poésie. Peu d’indicateurs temporels mais la sensation d’années qui s’écoulent, de souffrances qui s’éternisent et d’une affection commune qui survit coûte que coûte. Vlad Petri parle d’espoir, celui de se retrouver rapidement d’abord, puis de se revoir tout court ensuite, en priant pour que les dictatures en place ne tiennent pas le coup. À ceci, s’adjoint un acte de résistance par l’écriture ; interdite d’écrire car surveillée par le régime, celle restée en Roumanie continue, faisant perdurer du bout de sa plume la flamme d’un Amour qui traverse les frontières et rend tout possible. Il y a sept jours, désormais, je commençais la Berlinale par Dearest Fiona et les lettres d’un père sa fille sur fond d’images anciennes. La conclusion de cette semaine avec un film au dispositif proche est donc un merveilleux hasard. La boucle est bouclée, le festival fini – avec un palmarès des plus ravissants et des prix pour les très beaux Sur l’adamant (sur lequel je reviens vite), Le grand chariot (mon premier coup de cœur), Music ou encore Roter Himmel –, et c’est ainsi que s’achève cette ultime chronique, en espérant qu’elle vous ait plu.

À très vite sur Super Seven pour parler plus en longueur de certains des films découverts ces derniers jours et plus encore !


Elie Bartin


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Between Revolutions - Vlad Petri