Carnet de bord Berlin #2

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Par Super Seven

le 21/02/2023


Berlinale 2023 – Jour 2 : Problèmes de communications

Malgré quelques cauchemars dus au film d’Emily Atef, c’est revigoré par un petit déjeuner d’auberge trop cher pour ce que c’était que j’appréhende cette deuxième journée. Une nécessité face au programme de cinq films prévu, à commencer avec le plus improbable, Inside de Vasilis Katsoupis. Willem Dafoe cambriole le penthouse d’un riche collectionneur d’art, pour dérober notamment multiples pièces d’Egon Schiele, mais il se retrouve coincé, abandonné à lui-même dans cette demeure immense qui ne manque pas de surprises. Inside part d’un postulat débile, pour la faire simple. Le vol échoue car l’alarme se déclenche, mais visiblement personne de l’immeuble n’est alerté par cela ; idem quand, à la fin, Dafoe force l’interruption de l’alarme incendie. L’idée derrière est toute simple : forcer la solitude du personnage, couper son interaction avec le monde extérieur et voir ce qui en ressort. Inside vaut surtout – si ce n’est exclusivement – pour la performance de son acteur qui tend à devenir en soi une nouvelle œuvre contemporaine dans la collection du propriétaire absent. Dans la lignée de ses performances chez Ferrara ou autre, Dafoe continue de montrer qu’il est prêt à tout. Une réflexion sous-jacente sur l’état de l’art donc, qui ne convainc pas mais arrive à distraire par les élans d’auto-dérision de Katsoupis donnant l’impression de jubiler de faire une mauvaise blague à son comédien. Passable donc, mais une double idée amusante : la climatisation en roue libre qui ne doit pas être loin de provoquer des chocs thermiques, et un frigo qui lance la Macarena pour prévenir que la porte est ouverte depuis trop longtemps.

Après l’isolation forcée, place aux liens familiaux dans Le Grand Chariot de Philippe Garrel. D’ailleurs, réduire cette petite merveille, dont Garrel a le secret, à une simple affaire familiale est un terrible affront. Je reviendrai prochainement plus en détail dessus, mais je tiens à dire qu’il s’agit d’un film magnifique sur l’acte de résistance, artistique de prime abord et politique en filigrane, à travers la vie d’un commerce de guignol traditionnel qui se trouve chamboulé par la mort du gérant et père de la famille qui constitue la troupe de comédiens. Une manière pour Garrel de revenir à sa veine de récits avec les siens, tout en parlant ouvertement de son rapport à l’art et au métier d’artiste dans lesquels il s’accroche à l’idée d’artisanat. Premier coup de cœur berlinois donc, et, jusque-là, meilleur film de la compétition découvert.

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Le grand chariot - Philippe Garrel

Puis la terrible séance d’après-déjeuner, celle de tous les dangers, où le sommeil menace de nous gagner au moindre moment de faiblesse. D’autant qu’avec Remembering every night de Yui Kiyohara, cela ressemble à un complot. Sans dénigrer ce beau petit film, sa lenteur légèrement exigeante a fait décrocher plus d’une mâchoire et ronfler plus d’un journaliste. Dommage pour eux qui ont raté un joli récit choral de femmes autour de la reconnexion aux autres dans un quartier japonais le temps d’une journée. Par ses longs plans fixes, Kiyohara développe une série de petites vignettes amusantes et mélancoliques où, par exemple, une vieille femme raconte sa vie à sa cadette avant de lui donner un petit sac de mandarines tandis que dans un parc voisin une jeune fille danse pour expier un deuil, avant d’être imitée par la troisième héroïne, simple errante. Malheureusement, ce récit à trois voix peine à emporter pleinement par ses changements de points de vue qui parasitent chacun des parcours – tous trois ayant une puissance intrinsèque réelle. Si ceux du deuil ou de l’aide forcée aux personnes âgées sont touchants, celui plus mystérieux de la femme à la recherche d’une personne sur la seule base d’un papier reçu dans sa boîte aux lettres. Elle est peut-être la plus belle incarnation de ce besoin de l’autre, de la nécessité du mouvement, dans un monde qui a trop peu bougé pendant deux ans.

Et parlant de mouvement, que dire de l’irrésistible Bête dans la jungle de Patric Chiha, sur toutes les lèvres depuis sa première projection ? Là encore, il conviendra d’en parler avec plus de précision pour rendre honneur à l’ampleur de ce film épuisant, terrassant même dans lequel May (envoûtante Anaïs Demoustier) et John (étrange Tom Mercier) errent pendant une vingtaine d’années dans un club techno parisien en attendant la réalisation d’un événement. Cette adaptation d’Henry James est un travail du corps, de la célébration de sa puissance à la contemplation morbide de son essoufflement. A travers cette boîte de nuit, ce n’est pas qu’une romance complexe qui se dessine, mais l’histoire d’un pays, sa politique, ses traumas (les années sida notamment), pour mieux questionner le difficile – si ce n’est impossible – équilibre à trouver entre une vie pleine d’excès et une basée sur le renoncement de la souffrance, donc de tout. Ce conte au sens le plus pur du terme, narré par une Béatrice Dalle en gardienne du temple maudit, n’est dès lors qu’une lente descente aux enfers, camouflée par son début en fanfare. Chiha nous ensorcelle et donne à cette Berlinale son premier gros coup d’éclat.

Ainsi, rien de tel pour finir cette journée que de l’horreur pure et non plus latente, avec l’étonnant Talk to me de Michael & Danny Philippou. Les deux youtubers australiens prennent à bras le corps un récit de spiritisme et de possession autour du deuil – peu original, je le concède – à travers une violence frontale (sans mauvais de jeu vu ce qu’il se passe pour l’enfant) des plus dérangeantes et un regard intéressant sur la jeunesse, du moins dans la première partie. Toute l’introduction du « talk to me » est assez passionnante, avec ce jeu sur le regard formaté par le fake et les vidéos, et donne lieu à des scènes frappantes révélant une certaine inspiration chez le tandem ; ils n’inventent rien mais font ça avec le cœur, cela se sent, et croient dur comme fer à leur concept. On ne peut que regretter alors la deuxième partie intégralement centrée sur le personnage de Mia et son trouble lié à la perte de sa mère. Le récit s’embourbe dans un schéma trop convenu et ce ne sont pas les quelques trouvailles – dont une cauchemardesque virant au grotesque assez habilement – qui donnent une plus grande profondeur au projet, au mieux elles maintiennent son caractère divertissant. Une conclusion légèrement en demi-teinte donc, mais qui promet une nuit des plus mouvementées, avant un troisième jour des plus alléchants (oui je parle de toi, enchaînement Brandon CronenbergHong Sang-soo).


Elie Bartin


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La bête dans la jungle - Patric Chiha