Carnet de bord Berlin #1

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Par Super Seven

le 20/02/2023


Berlinale 2023 – Jour 1 : Déception, surprise, et épreuve de force


Pour la première fois, Super Seven s’abandonne aux joies festivalières de la Berlinale. L’occasion de vous faire un petit journal de bord des découvertes et autres péripéties improbables – quand elles existent, évidemment –, le tout en restant décomplexé et en mangeant des bretzels. Pour les plus curieux, pas de panique, des critiques accompagneront cette chronique quotidienne, pour vous donner une idée plus précise de la qualité des films proposés sur place, et pas seulement ceux en compétition. Alors accrochez vos ceintures et suivez-nous toute cette semaine où, telle Boucle d’Or, j’entends flirter avec les ours.

Ce qui frappe d’emblée est la richesse de la programmation, avec un nombre hallucinant de séances, éparpillées sur toute la ville, impliquant dès lors d’être prêt à courir et d’avoir un bon sens de l’orientation. C’est pourtant tout en douceur, presque trop, que le festival commence de mon côté, avec la découverte de Dearest Fiona de Fiona Tan, assez attendu par ici, dans la salle spectaculaire du Delphi Film-Palast. Mélange d’archives des années 20 sur le quotidien des paysans hollandais, agrémenté d’une voix off lisant des lettres écrites par le père de la cinéaste durant les années 88/89 depuis l’Australie, alors que celle-ci était en Europe justement, ce documentaire rappelle tant News From Home de Chantal Akerman pour son rapport au parent éloigné que le récent Et j’aime à la fureur dans son utilisation de l’image d’antan. La référence au premier est presque trop évidente tant le dispositif est similaire, or c’est ce dispositif justement qui, s’il est alléchant et emporte par sa poésie de prime abord, finit par poser problème. Fiona Tan se contente de faire s’enchaîner les lectures de lettres chronologiquement tandis que les images, elles, accompagnent ce mouvement progressif du temps en montrant la mécanisation croissante des modes de productions. Une dialectique intéressante apparaît alors, de laquelle émerge des réflexions sur l’écologie à travers l’opposition entre la prise de conscience du père et la surproductivité naissante, ou encore sur la quête de soi à l’heure de la fin de la guerre froide d’un côté et de l’entre-deux guerres de l’autre. Cela fonctionne par à coups seulement, et peine à réellement créer une émotion sur l’ensemble, rendant l’entreprise un brin trop théorique. Légère déception donc, mais qui n’entache pas le plaisir de découvrir une telle singularité qui risque de ne pas voir le jour dans nos salles françaises.

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Après une course effrénée pour rejoindre le Verti Music-Hall, place à – déjà – la première surprise, avec Blackberry de Matt Johnson qui parle de feu cette marque de téléphone qui a hanté les cours de collèges à la fin des années 2000. Retour sur une invention sans rien inventer, puisque que Blackberry joue la carte de l’efficacité avant tout. Il faut tout de même saluer la fraîcheur qui l’anime une heure durant, avec son air de Social Network filmé comme The Office avec un humour de nerd. Le duo Mike-Doug (formidables Jay Baruchel et Johnson lui-même) est un moteur comique imprévisible et redoutable, tandis que Glenn Howerton est déchaîné en Jim Balsillie. Dommage que le film retrouve des rails trop convenus de rise and fall passé un certain temps, l’ennui n’étant pas loin de pointer le bout de son nez tant l’issue semble soudainement évidente. Toutefois, tel un baroud d’honneur, Johnson offre une conclusion étonnante, étrangement drôle et limite poétique à cette bande de rêveurs fous. La présence en compétition est peut-être exagérée, mais BlackBerry est loin de faire tâche, rappelant un savoir-faire américain, notamment dans le registre comique, qui fait du bien.

Tout le contraire du dernier visionnage du jour que fût l’atroce Someday we’ll tell each other everything de la désormais bien connue chez nous, Emily Atef, elle aussi présente en compétition. Adaptant une nouvelle des années 90, elle raconte le développement de la passion d’une jeune femme de 19 ans pour le voisin fermier qui en a 40, alors qu’elle vit chez les parents de son petit copain. Point de remarque sur le sujet, si périlleux qu’il soit, mais sur le traitement qu’en fait Atef. Le qualifier de maladroit serait un euphémisme tant le film est un naufrage esthétique et cinématographique. Si le parti pris d’embrasser le point de vue de Maria, complètement aliénée par un idéal de romantisme bien allemand (martelé ad nauseam par une ribambelle de plans de paysage) mais confrontée à une sexualité des plus bestiales et primitive, pourrait être intéressant, Atef n’arrive jamais à donner corps à ses personnages (quelles sont les motivations ? Leurs réactions ont-elles un sens ?), en faisant seulement les pantins d’une mascarade gênante de naïveté. Naïveté que la cinéaste partage, fonçant tête baissée et premier degré sur son sujet, sans jamais trouver le moyen d’aller plus loin que cette pulsion d’adolescente qui se cherche en citant Les Frères Karamazov gratuitement. Une exposition du mauvais goût culminant lors des dix dernières minutes, lesquelles virent au mélodrame risible, symbole ultime, s’il en fallait, de la ringardise du projet.

Cette Berlinale commence sur les chapeaux de roue, espérons qu’elle continue comme ça !


Elie Bartin


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