L'après-séance 02 : Assaut

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Par Super Seven

le 26/02/2023


Ce 17 février, nous vous donnions rendez-vous au cinéma des Écoles à Paris pour une carte blanche exceptionnelle de Bertrand Bonello autour d'Assaut de John Carpenter, une de ses nombreuses influences et porteur, lui aussi, de la double casquette réalisateur-compositeur.

S'il n'est que son deuxième long-métrage, Assaut annonce déjà avec clairvoyance la suite de la carrière du Master of Horror. Nul aficionado de Carpenter ne peut pas ne pas penser directement à deux volets de sa “Trilogie de l’Apocalypse” : The Thing & Prince des Ténèbres.
Assaut partage avec le premier l'idée de la dépersonnification de la menace avec, faute de budget, des “adversaires” rarement montrés, sauf dans la courte introduction. Leur présence est spectrale, abstraite, matérialisée surtout par les conséquences de leur violence : balles volantes, meurtres, bruits entourant le siège… Dans The Thing, évidemment, le danger prend plusieurs formes, humaines, créaturiales ou animales. Carpenter développe un climat de paranoïa constant. Là où le jeu de l’ambiguïté des ambitions et intentions de chacun à l’intérieur du commissariat d'Assaut est très vite mis de côté – et ce n’est pas le but du film –, The Thing joue de métaphore pour supposer sa menace et mène à la subjectivité du spectateur, qui ne sait jamais quelle forme a prise cet alien, mais aussi du personnage, jamais certain de qui est réellement son interlocuteur.
Pour autant, le film de Carpenter avec lequel un rapprochement fait le plus sens est Prince des Ténèbres. Ici, l’entité maléfique est apparentée à quelque chose de concret (un liquide verdâtre) mais signifiant un mal bien plus abstrait (Satan, lui-même!). De plus, l’impossibilité de l’extérieur déjà présente dans Assaut est montrée dans Prince des Ténèbres, avec la bande de “sans-domicile fixes possédés” – promis, c’est moins ridicule que ça n’en a l’air –, qui tue chaque personne croisant leur chemin. Avec cette menace plus identifiée, on retrouve cette obligation de huis-clos, mais aussi une paranoïa ambiante à la The Thing tant Satan prendrait n’importe quelle forme corporelle touchant ce fameux liquide. La peur de l'enfermement liée à un danger venant du dehors comme motif du cinéma de Carpenter – et au-delà des trois œuvres présentées, cela se retrouve notamment dans son ultime film, The Ward! –, une obsession certes récurrente mais jamais montrée avec le même œil fantastique/horrifique d’un des plus grands maîtres du cinéma de genre.

On a donc vu qu'Assaut annonce déjà ce que deviendra la carrière de Carpenter, mais il doit aussi beaucoup à d'autres films, à commencer par Rio Bravo auquel il rend un vibrant hommage. C'est peut-être même une des signatures les plus fortes de Carpenter, cet amour du cinéma de Howard Hawks, ramenant la création à ce qu'elle de plus artisanale, humaine. Ici, les rapports à Rio Bravo sont nombreux : du nom du personnage féminin emprunté à l'alias utilisé par Carpenter lui-même (John T. Chance, nom de John Wayne dans le film) pour se créditer au montage, en passant, surtout, par la structure narrative et le climax. Néanmoins, Assaut est loin de n'être qu'un décalque contemporain du western, il en est une adaptation personnelle et ancrée dans son époque. Ainsi, Carpenter épure le récit hawksien de ses longues scènes de développement de personnages pour les réduire à de brefs instants de camaraderie – coeur du cinéma de Hawks – dont la rareté intensifie l'importance et la beauté face au nihilisme ambiant, à la violence sourde, gratuite et insaisissable qui s'apprête à faire rage. Dans un autre registre du western, la bande d'assaillants anonymes, caractérisés comme pure opposition, peut aussi rappeler la représentation classique des indiens, alors que l'idée d'une bande hétéroclite qui, par la force des choses, s'allie pour survivre rappelle La chevauchée fantastique de John Ford.

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Rio Bravo - Howard Hawks (1959)

Mais le film convoque également une autre vision du cinéma américain, celle de Sam Peckinpah. En effet, les deux cinéastes se rejoignent sur une volonté : celle de dépeindre l'extrême violence, le chaos. Assaut se rapproche particulièrement des Chiens de paille. Dans celui-ci, un néo-rural part vivre à la campagne avec sa femme. Les ouvriers censés réparer la ferme dans laquelle ils habitent commencent à tourmenter le couple, faisant culminer la violence jusqu'à un siège de la ferme où le jeune mathématicien se confronte à sa propre noirceur et devient l'égal des assaillants dans la violence déployée. Le siège d'Assaut donne aussi à voir une certaine jouissance dans le massacre des gangsters qui attaquent le commissariat, particulièrement dans une fusillade chaotique, marquée par un montage frénétique, qui semble directement héritée du travail de Peckinpah.

Un western urbain donc, mais Carpenter ne renie pas son amour du cinéma de genre, baignant Assaut dans une ambiance fantastique. La tension naît de l'absence. On ne voit pas les tirs, on voit les feuilles qui volent. On ne voit pas les corps puisqu'ils ont mystérieusement disparu. C'est un film de fantômes qui prend place dans des rues désertées, au sein d'un commissariat littéralement mort-vivant. Or, il s'agit d'un hommage à La nuit des morts vivants de George Romero. L'ambiance de mort qui règne peut être rapprochée de celle d'un film de zombie, et la horde d'assaillants, masse informe et sans visage qui fait le siège du commissariat renvoie à celle des morts-vivants qui attaquent la maison de campagne du film de Romero. Dans les deux cas, un groupe hétéroclite doit tenir un siège et faire société. D'autres clin d'oeils sont disséminés, comme, par exemple, la mention de la cave, élément de discorde majeur chez Romero. Ce dernier aborde toutefois la question ethnique politiquement, faisant de sa Nuit une parabole de la société américaine pour dénoncer ultimement le racisme. Carpenter, lui, empreinte à son prédécesseur son personnage principal de héros noir courageux, mais la couleur de peau n'a pas grande importance dans le récit. Il se sert plutôt du mélange ethnique pour créer une masse d'ennemis d'autant plus impossible à identifier. Les différences renforcent la puissance d'abstraction du mal, tandis qu'elles n'empêchent pas l'union des assiégés bien qu'ils soient de camps opposés (policier noir vs criminel blanc).

Enfin, Assaut a bien sûr fait des émules. Lors de sa présentation, Bertrand Bonello a d'ailleurs avoué y avoir beaucoup pensé à ce film alors qu'il préparait Nocturama. Les deux partagent un aspect confiné dans un lieu public (un commissariat pour Carpenter, un centre commercial pour Bonello), obligeant des personnages que l’on peut aisément qualifier d’«anti-héros» à collaborer. Bonello reprend également l'idée de non-caractérisation des protagonistes, réduits à des figures de l'instant, à qui donner une profondeur sur leur passé ou leur motivation reviendrait à annihiler toute la subtilité de la réflexion autour de ce néo-tribalisme. Pour aller toujours plus loin, et tisser une toile entre nos différentes séances, osons rapprocher ce manque volontaire d’identification des personnages à celui de Macadam à deux voies, dans lequel on ne prête à ces derniers qu’une “nomination-fonction” : The Driver, The Mechanic, The Girl


Marc Thibaudet, Pierre-Alexandre Barillier, Elie Bartin, Pauline Jannon


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Nocturama - Bertrand Bonello (2016)