FEMA 2024 : All we imagine as light, chronique akermanienne

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Par Super Seven

le 24/07/2024


Toute une vie

Coïncidences fortuites ou travail de précision des équipes, parcourir la programmation du FEMA est toujours l’occasion de tisser des ponts entre les continents, le patrimoine et les actualités, le culte et les pépites…
Le lien entre All we imagine as light de Payal Kapadia (Grand Prix au Festival de Cannes 2024) et l’oeuvre de Chantal Akerman est pour le coup tissé par la réalisatrice indienne qui se réclame dès son premier long métrage documentaire, Toute une nuit sans savoir, de l’héritage de sa prédécesseure belge, elle même autrice de Toute une nuit.

Bien loin de ne partager qu’un bout de titre, il devient passionnant de noter comment la représentation du quotidien des femmes indiennes par Kapadia fait écho à celui dépeint quelques décennies plus tôt par Akerman. All we imagine as light poursuit le travail de sa première œuvre documentaire en usant d’un format quasi hybride tant la mise en scène repose sur le naturalisme, autant en plein cœur de la ville que dans les paysages de campagne, pour rapprocher ces deux univers malgré la scission qui irrigue le récit. Le destin de plusieurs femmes devant trouver leur place dans une machine capitaliste sans répit s’entrecroise, tissant au passage des liens entre les générations de celles qui ont accepté leur condition de travailleuses interchangeables (pourtant à des postes cruciaux dans le soin) et celles, plus jeunes, qui aspirent à une certaine indépendance vis à vis de cette société patriarcale qui ne connaît que peu de remise en question (le mariage arrangé est toujours une normalité, le chirurgien garde une ascendance naturelle sur les employées femmes…).

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Il y a d’une part un cadre rural étouffant pour ces jeunes femmes qui bataillent pour boucler leurs mois ; un Mumbai plein de grands immeubles, où le cadre respire aussi peu que les patients qui s’accumulent aux urgences ou les passagers des transports en commun. En laissant ses prises durer pour capter la vie des rues (presque toujours de nuit) ou la solitude de ses personnages une fois rentrées chez elles, Kapadia rappelle Toute une nuit ou Les Rendez-vous d’Anna d’Akerman, préférant trouver dans les silences les subtilités d’un discours bouillonnant d’une rage émancipatrice.
Plutôt que de tomber dans la résignation, la camaraderie reste de mise ; la sororité qui se tisse entre les protagonistes permet le basculement vers la deuxième moitié du film, peut-être est-ce ici que la jeune cinéaste se distingue de sa maîtresse, qui a plutôt tendance à représenter des solitaires qui peinent à se croiser.

Kapadia prend donc son indépendance au rythme de ses personnages – et de leurs magnifiques interprètes –, en les emmenant dans la nature pour les faire se révéler pleinement. La plus jeune refuse le destin qui lui est imposé en s’échappant batifoler avec son amant, la plus ancienne donne un exemple inattendu aux autres en les encourageant à s’enivrer pour lâcher un peu de leste plutôt que d’observer un contrôle asphyxiant des règles de bienséance. On touche même au réalisme magique lors d’une apparition fantasmagorique du mari de l’une d’elle qui n’existe, outre cet instant, qu’en hors-champ puisqu’il travaille en Europe sans qu’elle puisse le rejoindre. Cette touche d’onirisme rentre dans la logique libératrice de cette seconde partie qui contraste avec la première par son atmosphère solaire, en plein jour et en bord de mer.

Observer l’horizon n’est dès lors plus un acte mélancolique mais la promesse d’un ailleurs ; la réalisatrice le dit elle-même : son titre poétique représente un vecteur d’espoir et de foi en l’avenir. Il ne s’agit pas seulement d’imaginer, mais bien d’aller vers la lumière.


Pauline Jannon


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All we imagine as light : en salles le 2 octobre 2024 grâce à Condor Distribution